Le 24 novembre 2022 à 08h43
par Damien Malvetti

Karl Lechat (Lucien): « Pour que la mobilité fonctionne, il faut de meilleures connexions entre services et entre autorités »

A l’occasion de la 250e édition de notre magazine link2fleet, nous avons décidé de donner la parole à quelques grands acteurs du secteur afin de connaître leur vision sur l’évolution de la voiture de société, de l’électrification, de la fiscalité, de la mobilité, bref, de tout ce qui touche aux secteurs fleet et mobilité en Belgique. Aujourd’hui à la tête de Lucien, la nouvelle marque de vélo du groupe D’Ieteren, Karl Lechat est donc baigné dans ce nouveau secteur de la mobilité, mais il dispose aussi d’un background très large dans l’automobile, notamment via sa précédente fonction de directeur de Skoda Belgique.

link2fleet : Quel regard portez-vous sur l’évolution de la mobilité professionnelle ces dernières années ?

Karl Lechat : « Le secteur de la mobilité et le business-model des acteurs de ce secteur est resté très stable pendant 30 ans. Mais depuis quelques années, on assiste à une énorme évolution avec l’arrivée de nouvelles tendances et de nouveaux acteurs. Par exemple dans la mobilité partagée, des solutions d’abonnements, etc. Tout cela crée un business-model totalement différent. Il est clair que l’ère de la monomobilité – autrement dit la voiture individuelle, NDLR -, est passée. Aujourd’hui, on est entré dans l’ère de la multimobilité où les usagers peuvent combiner différents moyens de transport comme le vélo, la trottinette, les transports en commun, les voitures partagées, etc. Dans ce challenge de la mobilité, on est tous en train de trouver des solutions pour former ce puzzle. D’Ieteren, via ses différentes start-up, souhaite aussi intégrer des pièces dans ce puzzle pour répondre aux besoins de mobilité de chacun. »

 

l2f : Dans un cette nouvelle société de la multimobilité, la voiture individuelle a-t-elle encore un avenir ?

K.L. : « Bien sûr, mais plus de la même façon. Avant, on achetait une voiture pour la garder 8 ans. C’était un investissement. Aujourd’hui, on prend un abonnement pour une Lynk & Co par exemple. La voiture va malgré tout rester un élément important de cette multimobilité. Notamment parce qu’elle reste le moyen le plus efficace pour se déplacer d’un point A à un point B en toute sécurité pour de nombreux trajets. En tant que consommateur, on peut utiliser le moyen qui cadre le mieux avec nos besoins. Et ces besoins sont différents selon la personne, selon le contexte, selon le moment, etc. »

 

l2f : On voit justement apparaitre toute une série de nouveaux acteurs pour répondre à ces besoins, mais l’offre n’est-elle pas supérieure à la demande actuellement ?

K.L. : « Il est clair que ces nouveaux besoins ont mené à la création d’une série de nouveaux acteurs comme les Poppy, Swapfiets et comme Lucien d’ailleurs. Le marché est en plein boom. Certains de ces nouveaux acteurs vont survivre, d’autres pas. Le marché va devoir arriver à l’équilibre. Il faut reconnaître que le contexte est compliqué à l’heure actuelle. Depuis 2008, on enchaine les crises dans notre secteur : la crise financière, le dieselgate, le WLTP, le COVID-19, la crise des semi-conducteurs, la guerre en Ukraine, maintenant la crise énergétique… On peut se demander quelle sera la suivante et comment le marché va encore survivre. Mais je crois beaucoup en la théorie du Darwinisme : celui qui est capable de s’adapter est celui qui survivra. C’est exactement pareil dans la mobilité. Mais il existe 2 types de perdants : celui qui perd et baisse les bras et celui qui perd et apprend de ses erreurs. Mais il faut toujours oser. »

 

l2f : Oser, c’est un peu ce qu’à fait D’Ieteren à l’époque en lançant son Lab Box ?

K.L. : « Exactement. Il fallait oser investir dans autre chose que la voiture. Aujourd’hui, tout le monde doit remettre en question son business-model et l’adapter en fonction de ce qui se passe autour de nous. Certaines idées de ce Lab Box ont été lancées puis n’ont pas marché. D’autres, par contre, sont aujourd’hui devenues des sociétés indépendantes et rentables. »

 

l2f : Karl Lechat, si je vous demande d’imager la mobilité dans 20 ans en Belgique. Comment la voyez-vous ?

K.L. : « Je pense qu’elle sera plus verte, mais pas uniquement grâce aux véhicules électriques. Les solutions les moins polluantes seront les gagnantes et dans certains cas, on voit qu’un modèle essence peut se révéler plus vert qu’un modèle électrique si on prend la totalité du cycle de vie. La mobilité dans 20 ans sera aussi plus connectée, plus partagée et plus autonome, pourquoi pas avec des drones ou des gyropodes ? »

 

l2f : Vous croyez donc à la voiture autonome ?

K.L. : « Oui, dans certains cas. Par exemple pour les longs voyages vers une destination de vacances. Mais il est toujours difficile d’imaginer de quoi sera fait demain à ce niveau car la technologie avance à une telle vitesse. Je pense aussi qu’on sera moins propriétaire de son propre véhicule car les voitures coûtent de plus en plus cher et on voit déjà une partie des consommateurs remettent le principe de l’achat en question. Certains iront davantage vers des formules d’abonnement à l’usage. Par contre, l’achat restera pour les modèles haut-de-gamme et pour ceux pour qui l’automobile reste un plaisir. »

 

l2f : Pensez-vous que le budget de mobilité dans sa forme actuelle soit suffisamment incitatif ?

K.L. : « Je pense d’abord que ce n’est pas forcément la responsabilité d’un gouvernement de forcer les citoyens à passer à une autre forme de mobilité. Si on regarde Bruxelles, on a tendance à pousser les voitures hors de la ville. Par défaut, les usagers se mettent à utiliser des moyens de transports alternatifs. Mais il est choquant de constater le manque d’échanges entre les différents ministres et les pouvoirs locaux. Il y a aussi un manque d’interconnexions entre les moyens de transports eux-mêmes. On veut davantage de trams, de trains, de vélos, mais qu’est ce qui est vraiment mis en place ? On voit par contre fleurir des trottinettes à tous les coins de rue, alors que cela reste très dangereux dans la circulation. Le vélo (de leasing) a un bien meilleur potentiel. Son prix attractif, la rapidité de ses trajets dans la circulation urbaine, son taux de CO2 nul et surtout les bienfaits de son activité sur la santé. Actuellement, un Bruxellois sur 10 se rend au travail à vélo, alors que différentes études ont démontré que le potentiel était de 6 Bruxellois sur 10. C’est un business qui doit encore continuer à se développer. Plus les autres moyens de transport continueront à devenir plus chers, plus le vélo gagnera en popularité. »

 

l2f : Mais le vélo, dans sa forme actuelle, ne convient peut-être pas à tout le monde?

K.L. : « Non, mais il va encore être amené à évoluer. Pensez aux vélos cargos par exemple et d’autres produits vont encore voir le jour. Imaginez par exemple la Microlino (petite voiture électrique distribuée par D’Ieteren, NDLR) qui pourrait être adaptée avec des pédales. Tant de choses sont encore possibles et je suis persuadé que de nouveaux types de vélos vont arriver sur le marché pour répondre aux besoins de différents usagers. On devrait aussi assister à une évolution du modèle du vélo électrique pour qu’il ne se différencie quasi plus d’un vélo traditionnel. »

 

l2f : Et la voiture de société dans tout cela, comment la voyez-vous évoluer à l’avenir ?

K.L. : « Le belge est sédentaire et continuera à avoir besoin de sa voiture, surtout dans les campagnes où le transport public reste très compliqué. Il faut garder un accès à la mobilité pour tous. Et cela peut passer par un abonnement à un service de voitures partagées dans un budget de mobilité par exemple. La flotte va cependant évoluer plus rapidement que ce qu’on a connu ces 20 dernières années, en devenant notamment beaucoup plus verte. Si on voulait supprimer le principe de la voiture de société, il faudrait revoir entièrement notre système de taxation car elle participe à la compétitivité salariale. On peut par exemple imaginer des zones sans voiture dans les villes, mais pas des villes entières sans voiture. Je pense cependant qu’à l’avenir, la taxation portera sur l’empreinte écologique totale de la voiture. Celui qui optera pour une très grosse voiture devra ouvrir son portefeuille. »

Damien Malvetti

Damien Malvetti, rédacteur de cet article

Damien Malvetti a une formation de journaliste et est passionné par les voitures, la technologie et la mobilité. Il est responsable du contenu éditorial de link2fleet et possède une connaissance approfondie du secteur des flottes et de la mobilité électrique.
Cet article parle de : Mobilité , Vélos (location)

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