link2fleet : Monsieur Deroanne, entrons directement dans le vif du sujet : est-ce que l’électrique est LA solution d’avenir, selon vous ?
Damien Deroanne : « C’est un fait : l’électrique va s’imposer et devenir le nouveau standard. Mais cela ne signifie pas que c’est la meilleure solution ou qu’elle est moins bonne qu’une autre. On est contraint et forcé de sortir des matières fossiles, que ce soit pour des raisons de disponibilité ou de coût d’exploitation. Le pétrole à un prix accessible est voué à disparaître. Vu les contraintes écologiques auxquelles on doit se plier, les carburants fossiles tels que nous les connaissons aujourd’hui n’ont clairement plus d’avenir.
Si l’on regarde le marché, l’électrique est déjà en train de s’imposer un peu partout. Contrairement à ce que beaucoup aiment à répéter, ce n’est pas le politique ou l’Europe qui nous l’imposent. L’électrique va s’imposer en raison de la concurrence entre les marques. Les Américains s’y sont mis il y a une dizaine d’années, avec un succès commercial incontestable. Regardez les chiffres de Tesla. Aujourd’hui, indépendamment des décisions de l’Europe, tous les constructeurs suivent le mouvement parce qu’ils ne veulent pas laisser passer le train. D’autant que les Asiatiques se lancent aussi dans l’aventure, notamment les Chinois, qui n’étaient pas présents jusqu’il y a peu sur le marché européen. J’espère vraiment que l’industrie automobile européenne va s’y retrouver, sinon, elle va disparaître. De la même manière qu’on a vu les premières marques européennes dans l’informatique (Olivetti, par exemple) et de téléphonie (Nokia, Ericsson, Alcatel, Motorola, etc.) disparaître ou presque au profit des Américains (Apple) et des Chinois (Samsung, Huaweï, etc.). C’est pareil pour les voitures autonomes : la technologie existe et les voitures roulent dans certains pays d’Asie et aux États-Unis. Alors qu’en Europe, on est toujours en train de se poser la question et de faire des essais. Il est temps que l’Europe avance et ose ! »
L2f : Vous avez abordé les décisions de l’Europe. Justement, sous la pression de plusieurs pays dont l’Allemagne, l’Europe a finalement ouvert la porte aux e-fuels dans son projet de loi. Les carburants synthétiques, qu’en pensez-vous ?
D.D. : « D’abord, les e-fuels ne sont encore rien de concret actuellement. Ensuite, leur bilan total est mauvais, que ce soit sur le plan économique ou écologique. En coût de production, on est entre 3 et 5€/litre, ce qui est infiniment plus que le prix d’un carburant fossile classique qui, sur un prix de vente de 2€, compte plus ou moins 1,5€ de taxes (accises, TVA, etc.).
En 2035, on cessera de vendre des voitures thermiques, mais il y aura encore un parc mondial roulant de 1,1 milliard de véhicules dont au moins 80%-90% de thermiques. D’ici là, le fossile bon marché aura quasi disparu et tous les pays seront impliqués dans la réduction de leur empreinte carbone. Ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui. On sera dans une réalité ou l’écologie sera devenue quelque chose de concret et on n’aura plus de solutions pour faire rouler les véhicules thermiques avec un carburant bon marché. D’un point de vue économique, les carburants synthétiques auront un sens. »
l2f : Et sur le plan écologique ?
D.D. : « Si le but est d’être neutre en carbone en 2050, on n’y arrivera pas. Car ces biocarburants doivent être produits, stockés, transportés, raffinés… pour finalement être carburés. Au bout du compte, on va quand même carburer quelque chose, alors que c’est justement cela qui pose problème avec ces produits. »
l2f : Cela ne concernera que les véhicules achetés à partir de 2035…
D.D. : « Oui, si vous achetez une voiture essence en 2034, elle aura tout à fait le droit de circuler pendant toute sa vie à l’essence, soit certainement jusqu’en 2060. Reste que d’ici là, au-delà des carburants, ce sont certainement nos moyens de transport qui auront changé. Qui sait, on aura peut-être des voitures volantes… Rappelez-vous qu’il y a 30 ans, on ne connaissait pas Internet !
Et puis, beaucoup de constructeurs ont déjà annoncé qu’ils ne développeraient plus de nouveaux moteurs thermiques, ce qui signifie que les véhicules actuels ne seront plus disponibles. Il n’y aura plus que des modèles haut de gamme ou sportifs qui rouleront encore peut-être avec du carburant. Donc, finalement, les biocarburants concerneront alors uniquement des clients pour qui leur prix élevé ne sera pas un problème. »
LA SUITE DE CETTE INTERVIEW DANS NOTRE DERNIER MAGAZINE:
Electric-Gate
Faut-il diaboliser la voiture électrique ?
C’est la question que pose Damien Deroanne avec son livre Electric-Gate, aux éditions EDI-PRO. Au travers de 7 chapitres thématisés et d’une centaine de pages, il vulgarise le sujet de l’électrification et ses termes parfois barbares, et répond de façon neutre, à toutes les questions qu’on peut se poser sur la voiture électrique. Ce livre est aussi l’occasion de tordre le cou aux idées reçues et autres fake news, et permet de lever les craintes et les doutes de ceux qui voient encore la voiture électrique comme l’ennemi qu’il faut absolument bannir.