link2fleet : la voiture de société a-t-elle encore un avenir ?
Denis Mulders : « Il faut remettre les choses en contexte. D’une part le marché est en train d’évoluer à tous points de vue : la gamme de véhicules, les modèles, le mix de carburants, etc. D’autre part, on vit des moments compliqués, entre la sortie de la pandémie de COVID-19 et la crise énergétique. La part de la voiture de société et les formules de financement vont forcément évoluer à l’avenir. Je ne m’attends pas à un changement brutal, mais plutôt à une lente et certaine évolution, avec une réduction du nombre de voitures de société en faveur de solutions de mobilité alternatives. Et cela cadre parfaitement avec le budget de mobilité. Selon moi, on va assister à une évolution plutôt qu’à une révolution à court-terme. Sauf si brusquement un nouveau gouvernement fait de ce thème une priorité et décide tout à coup de gros changements dans la fiscalité. En Belgique, on n’est à l’abri de rien… »
l2f : Si on vous demande de vous plonger dans 20 ans, comment imaginez-vous la mobilité en Belgique ?
D.M. : « Il est déjà très difficile de se projeter 10 ans en avant…, mais je pense que d’ici 10 ans, on verra déjà des changements dans notre mobilité. Le marché automobile connaît une forte baisse continue ces dernières années. La part des flottes dans le marché total ne va plus non plus grandir. Je suppose que la situation va finir par se stabiliser en Europe, mais le parc automobile va forcément se réduire un peu pour laisser place à des alternatives, dans lesquelles la voiture aura toujours aussi sa place, mais sous une autre forme. On voit par exemple des formules comme le car-sharing ou le leasing privé gagner en popularité. Ces nouvelles formules vont réduire petit à petit la frontière entre le B2B et le B2C. Avant, nous avions 3 canaux de vente bien distincts : le B2B en achat, le B2B en leasing et le B2C pour les particuliers. Demain, cette réalité sera différente. Chez Stellantis, nous nous y préparons déjà avec une refonte de notre structure afin de pérenniser l’avenir du groupe face aux défis futurs. »
l2f : A l’image d’autres groupes automobiles, allez-vous aussi lancer vos propres solutions de mobilité ?
D.M. : « Dans certains pays, nous avons déjà lancé un service de car-sharing via Free2Move. Prochainement, nous allons regrouper Free2Move et Leasys sous une seule société, ce qui devrait nous aider à lancer de nouveaux produits et services. Il est clair que nous tenons le marché de la mobilité à l’œil car il évolue rapidement. Il suffit de voir le succès de la solution de car-sharing Miles. Mais plutôt que de lancer nos propres solutions, je pense que nous privilégierons plutôt des partenariats avec des solutions existantes. »
l2f : Vous parliez du car-sharing et du leasing privé qui gagnent en popularité. Croyez-vous que l’ère de la propriété soit révolue ?
D.M. : « La notion d’acquisition et de propriété d’un véhicule va clairement évoluer à l’avenir. C’est logique quand on voit le succès des solutions partagées. Et cette tendance va se renforcer en raison du prix élevé des voitures consécutif aux différentes crises traversées par le secteur, mais aussi à la généralisation de la voiture électrique. Cela va rendre l’achat de plus en plus difficile pour des particuliers, qui n’auront finalement d’autre choix que de se tourner vers d’autres solutions de mobilité. »
l2f : Vous parlez de généralisation de la voiture électrique. Cela signifie-t-il que, selon vous, les carburants fossiles vont disparaitre ?
D.M. : « Au vu de la loi que l’Europe a votée, on n’aura pas le choix. En tout cas pour les véhicules particuliers. Les marques automobiles ont d’ailleurs déjà suivi le mouvement : Opel a annoncé la fin des moteurs thermiques pour 2028 en Europe, les autres marques du groupe pour 2030… Bien sûr, cela ne veut pas dire que l’électrique sera la seule alternative. Nous travaillons par exemple sur l’hydrogène, mais cette solution a ses limites et ses coûts. A terme, je pense qu’elle sera uniquement viable pour les véhicules utilitaires ou le transport lourd. Dans sa réglementation, l’Europe laisse une porte ouverte aux e-fuels, mais si cette technologie veut avoir un avenir, il va falloir qu’elle se développe rapidement, avant que tout le monde n’ait fait le switch vers l’électrique. Sinon, elle sera tuée dans l’œuf… »
l2f : La voiture électrique n’est pas forcément accessible à tout le monde…
D.M. : « On peut effectivement s’inquiéter pour le concept de la mobilité pour tous. Mais on peut espérer que ces coûts vont diminuer notamment avec l’arrivée d’une nouvelle technologie de batterie avec une meilleure capacité et une charge plus rapide par exemple. Les constructeurs y travaillent d’arrache-pied. »
l2f : Et la voiture autonome, mythe ou réalité ?
D.M. : « Si on retourne 3 ou 4 ans en arrière, il y avait clairement une tendance pour la voiture autonome. Apple, Tesla ou Google ont présenté des prototypes. Tout le monde y allait tous azimuts, même des entreprises étrangères au monde automobile, avec un message : « elle arrive ». La réalité d’aujourd’hui est un peu différente : on y va certes, mais le timing n’est pas celui qui avait été annoncé. On se rend compte qu’il y a encore quelques défis à relever, notamment au niveau légal et des assurances. Stellantis a des partenariats dans ce domaine. Nous avons développé des nouvelles plateformes spécifiquement dédiées aux véhicules électriques et qui permettront la conduite autonome, mais cela prendra encore un peu de temps avant qu’on croise des voitures 100% autonomes sur nos routes. »
l2f : Denis Mulders, on a abordé pas mal d’évolutions dans le secteur. Face à celles-ci, quel sera le rôle des concessionnaires à l’avenir. Et surtout, ont-ils encore un avenir ?
D.M. : « Oui, il y a un avenir pour les concessionnaires, mais il sera différent de ce qu’on connaît aujourd’hui. Stellantis a anticipé les évolutions dont on parle. Il faut se préparer à un changement du modèle de distribution. Nous avons notamment lancé un projet pilote de nouveau format de distribution en Europe et en Belgique. On ne parlera certainement plus de concessionnaires, mais plutôt d’agents. Il s’agira de travailler différemment avec une rémunération différente également, mais dans un concept qui continuera à garantir la satisfaction du concessionnaire et du client et surtout l’expérience client. »