Le 17 février 2020 à 08h33
par Maxime Pasture

La voiture partagée dans tous ses états

Selon le Bureau fédéral du Plan mais aussi l’OCDE, la congestion automobile ferait perdre entre 2,3 et 8 milliards d’euros chaque année. Parmi les solutions alternatives à la voiture « individuelle », nous avons tenu à présenter de manière plus détaillée le carsharing et le carpooling en Belgique.

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L’annonce de l’arrêt de ShareNow (DriveNow Belgium) à Bruxelles a fait l’effet d’une bombe durant l’élaboration de notre dossier. Avant de prendre connaissance de cette information qui témoigne d’une difficulté de rentabilité pour les fournisseurs de carsharing (nous y reviendrons plus loin dans ce dossier), nous aurions pu écrire que le carpooling et, surtout le carsharing, semblent de plus en plus à la mode, que ce soit pour les entreprises ou même à titre privé en Belgique et en Europe.

Avec l’arrivée du budget de mobilité, l’intégration de ces alternatives – ou dans certains cas, de ces compléments – à la voiture de société devrait pourtant être davantage prise en compte par les entreprises. 

Selon le dernier Company Car Report que link2fleet a coordonné en compagnie des trois grandes fédérations du monde automobile en Belgique (Renta, Traxio, Febiac), le carsharing est pour 25% des sondés un service essentiel au budget de mobilité. En 2017, à l’occasion du premier Company Car Report, ce chiffre était de 22%.

Pour le carpooling, le chiffre a baissé de 28% (2017) à 23% (2019). Pourtant, nous verrons plus bas que le covoiturage (carpooling), malgré les quelques difficultés de mise en place, dégage également des avantages.

De quoi parle-t-on ?

De voiture partagée au sens large. On parle de carpooling (covoiturage) lorsque plusieurs personnes effectuent un trajet à bord d’un même véhicule conduit par un chauffeur non-professionnel, et de carsharing (autopartage) lorsque plusieurs personnes partagent un véhicule, souvent stationné à un endroit ou dans une zone fixe, en l’utilisant tour à tour.

Comme l’indiquait la FEB (Fédération des entreprises de Belgique) dans son rapport de juillet 2018 « Les entreprises et la mobilité partagée : état des lieux, écueils et possibilités » : « Dans le contexte de l’entreprise, on notera d’emblée que ces différentes déclinaisons de la voiture partagée sont adaptées à des trajets spécifiques. Le covoiturage se prête particulièrement aux trajets réguliers, et donc aux déplacements entre le domicile et le lieu de travail. Le carsharing sera plutôt indiqué pour les déplacements occasionnels ou irréguliers, à savoir les déplacements professionnels (irréguliers, spontanés et/ou imprévus, NDLR). »

Avantages et inconvénients ?

Nous venons de le voir, de leur définition même, le carsharing et le carpooling ne sont peut-être pas compatibles avec tout type d’entreprise et encore moins tous les métiers. Suite à nos recherches et après diverses discussions avec quelques experts en la matière, citons les avantages et inconvénients de chaque solution pour y voir plus clair.

Comment ça marche ?

Carsharing (autopartage) : une fois devenu client d’une société d’autopartage, l’utilisateur réserve un véhicule pour une durée déterminée via smartphone (application), ordinateur ou téléphone. Les voitures de carsharing s’ouvrent et se ferment généralement via smartphone (application) ou carte de membre. Le paiement se fait en fonction de l’utilisation (au km, à la minute ou par jour). Entre particuliers, il est également possible de louer sa voiture via certaines plateformes (CarAmigo, Wibee et U-Go by Leasys-FCA Bank à venir).

Carpooling (covoiturage) : dans ce cas, le conducteur et le(s) passager(s) se connaissent déjà, qu’ils soient amis ou collègues, et conviennent d’effectuer le déplacement ensemble dans la même voiture (privée ou de société). Des inconnus ou des collègues peuvent également être mis en contact via une plateforme de covoiturage (BlaBlaCar, Carpool.be, Commuty) ou l’entreprise. Le partage des frais s’établit entre les covoitureurs ou via un règlement interne à la société.

Les différents acteurs

Carsharing : AlphaCity, Arval Car Sharing, Cambio, Car2Use (Athlon), CarAmigo, Cozy Car (Taxistop), Getaround (ex-Drivy), Partago, Poppy, Tapazz, Wibee, Zen Car. En Belgique, nous attendons encore le lancement de U-Go by Leasys, la plateforme de carsharing proposée par FCA Bank. 

Carpooling : BlaBlaCar (et BlaBlaBus), Carpool.be (Taxistop), Commuty, copilote.lu au Grand-Duché de Luxembourg, Karzoo, Waze Carpool.

Les loueurs s’y mettent aussi : sur son site internet, LeasePlan annonce la couleur concernant l’avenir : « Nous vivons dans une époque où les gens passent du statut de propriétaires à la tendance des services de voiture à la demande. Nous avons pour but de mettre à votre disposition n’importe quelle voiture, à tout moment, où que vous soyez, que vous soyez une grande entreprise, une PME ou un particulier. Les voitures ont été créées pour être conduites. Donc, quel est l’intérêt de les laisser à l’arrêt sans les utiliser ? Nous développons des services innovants pour aider les consommateurs et les entreprises à tirer le meilleur profit de leurs budgets. En utilisant les voitures uniquement lorsque vous en avez besoin. Puis en les partageant avec le chauffeur suivant. »

Plus haut, nous avons déjà cité les services de carsharing proposés par Athlon (Car2Use) et Arval (Arval Car Sharing), ce dernier ciblant très justement ceux qui se rendent au travail à vélo. C’est d’ailleurs l’un des avantages du carsharing comme déjà mentionné.

De leur côté, ALD Automotive et Belfius Auto Lease mettent tous les deux en avant l’application Olympus Mobility qui permet aux collaborateurs d’accéder à de nombreux moyens de déplacement (taxi, transports en commun, vélos partagés, etc.), dont les sociétés de voitures partagées.

Combien ça coute ?

Carsharing : il faut différencier les fournisseurs de carsharing en freefloating (sans station fixe comme Poppy) et les autres qui proposent des voitures partagées en station (Zen Car, Cambio,…). Les voitures en free-floating sont généralement utilisées pour des petits trajets, même si depuis quelques mois, Poppy permet d’aller de Bruxelles à Anvers et inversement. Le paiement varie donc en fonction du temps d’utilisation : 0,33 €/minute pour Poppy, 0,10 €/minute si la voiture est garée mais qu’on garde la réservation, 90 €/jour (24h). Toujours chez Poppy, si l’utilisateur dépasse les 200 km par déplacement, il devra ajouter 0,25 €/km*.

Les voitures partagées en station fixe sont plus souvent utilisées pour réaliser de plus longs déplacements car là, la tarification se base sur des abonnements. Chez Cambio par exemple, l’abonnement mensuel varie de 4 à 22 € selon le profil d’utilisateur (Start, Bonus ou Comfort) ; ensuite, le tarif horaire évolue (pas le même la nuit et en journée) en fonction du type de véhicule sélectionné. Chez Zen Car, qui ne mise que sur des voitures électriques (BMW i3, Renault Zoé et Kangoo Z.E.), les tarifs à l’heure, à la journée, pour la soirée ou pour le week-end varient en fonction du véhicule retenu. Exemples : de 9 €/heure à 169 €/week-end, en passant par 89 €/journée ou encore 52 €/demijournée (5h)*. En résumé, nous pourrions donc dire que le carsharing en station fixe et en free-floating ne sont pas vraiment concurrents mais plutôt complémentaires.

Carpooling : le but du covoiturage est bien sûr, de partager les frais. Selon la plateforme carpool.be, « Pour le transport lui-même, une indemnisation est bien prévue. Celle-ci est déterminée par accord réciproque entre le chauffeur et le passager (sauf si l’entreprise a convenu d’un règlement de covoiturage interne, NDLR). Le prix généralement demandé est de 0,09 € par kilomètre pour autant que le chauffeur ne doive pas faire de détour (l’un des inconvénients du carpooling, NDLR). Si le chauffeur doit faire un détour, pour aller chercher ou déposer le passager, le prix demandé pour le détour même est de 0,27 € par kilomètre. Le montant que le chauffeur reçoit ne doit pas être déclaré au fisc : il s’agit d’une contribution aux frais du véhicule. Les kilomètres supplémentaires qu’un chauffeur effectue pour aller chercher ou déposer un passager représentent un coût réel pour le chauffeur. Si ce détour est explicitement demandé par l’employeur, alors ces kilomètres peuvent être introduits et remboursés en tant que déplacement de service. Ce montant n’est pas taxé étant donné qu’il est considéré comme un remboursement des frais. » La plateforme ajoute encore cet élément important concernant l’indemnisation : « Nous attirons l’attention sur le fait que l’indemnisation kilométrique doit rester une indemnité pure, sans but lucratif. Le montant total reçu de l’ensemble des passagers ne peut pas dépasser 0,36€ par km. En réalisant du bénéfice, le transport peut être qualifié de transport rémunéré et cela engendre des conséquences pratiques dans le domaine de l’assurance, de l’attestation de conduite, de la fiscalité, etc. De plus, vu qu’il ne s’agit que d’un partage de coût, le nouveau cadre autour de l’économie collaborative entré en vigueur en mars 2017 n’est pas d’application pour le covoiturage avec carpool.be. Il ne faut donc pas déclarer vos revenus si ceux-ci ne dépassent pas 0,36€/km. » Notez encore que le covoiturage est intéressant fiscalement et que l’entreprise peut imposer son propre règlement de covoiturage.

Plus d’infos (côté fiscal, surtout) : www.carpool.be

*Tarifs indiqués au 18/12/2019

Contexte et analyse :

Le carsharing et le carpooling en chiffres

Difficile d’atteindre la rentabilité

Il y a quasiment un an, Daimler (car2go) et BMW (DriveNow) s’alliaient pour former ShareNow. En février 2019, les deux groupes automobiles avaient également lancé YourNow. Mi-décembre 2019, les entreprises ont annoncé poursuivre leur croissance dynamique : « Près de 90 millions de personnes utilisent nos offres de mobilité des joint-ventures en matière d’autopartage, de services de chauffeurs (ride-hailing), de stationnement, de chargement et de multimodalité, proposé dans plus de 1.300 villes dans le monde. » Oui mais voilà, au même moment, ShareNow a annoncé que les activités allaient s’arrêter à Bruxelles au 29 février 2020. « Nous avons dû faire face à la dure réalité, malgré nos efforts et nos investissements de ces trois dernières années, nous n’avons pas réussi à convaincre suffisamment de Bruxellois d’utiliser notre service. » indique le communiqué.

L’arrêt concerne également Londres et Florence car aucune de ces villes ne donnaient des signes clairs d’une prochaine rentabilité. A Bruxelles, DriveNow aurait engrangé plus de 8,4 millions d’euros de pertes depuis 2016. Chez Poppy, autre acteur du carsharing en free-floating, qui a racheté Zipcar début 2019, « sous l’impulsion du nouveau CEO Sylvain Niset, on cherche à atteindre la rentabilité totale en 2021 » nous a confirmé Laetitia Gutierrez (voir interview plus loin dans ce dossier). D’ailleurs, la start-up de Lab-Box (D’Ieteren) compte tripler sa flotte en 2020.

Ceci montre quand même le potentiel du carsharing à Bruxelles même si chez Poppy, on regrette le départ de DriveNow car « les Bruxellois ont besoin d’une offre toujours plus grande. » Toujours selon Laetitia Gutierrez, une offre plus ciblée vers les entreprises serait également en développement, de quoi pousser encore davantage le carsharing vers les sociétés.

Tout de même un sérieux potentiel

En septembre 2019, le Bureau fédéral du Plan nous dévoilait des chiffres qui ont fait le buzz : ils ont estimé la congestion du trafic à 2,3 milliards d’euros. En plaidant pour la taxe kilométrique (qui, selon nous, pousserait à payer pour l’usage réel d’un véhicule, comme c’est le cas avec les voitures partagées), le Bureau affirme que les usagers de la route pourraient gagner 1,3 milliard en gain de temps. Le milliard restant comporte 900 millions de gains en optimisation des transports en commun (début 2019, Christian Lambert, ex-CEO DriveNow Belgium, nous affirmait déjà que le bon fonctionnement des transports en commun était complémentaire et nécessaire au bon fonctionnement du carsharing) et 100 millions de gain environnemental. Auparavant, l’OCDE avait estimé que les routes structurellement congestionnées causent une perte économique de 1 à 2% du PIB, soit des sommes encore plus importantes – plus de 8 milliards – que celles mentionnées par le Bureau fédéral du Plan. En résumé, la congestion et l’immobilité en Belgique causent beaucoup de tort et il faut trouver des solutions. Le carsharing et, nous le pensons dans une moindre mesure (difficultés pratiques), le carpooling, peuvent donc aider à améliorer cette mobilité car l’un des problèmes est le suivant : en Belgique, le taux d’occupation dans les voitures est d’1,4 personne/voiture. 

Il baisserait même à 1,2 personne/voiture en heures de pointe. Autre problème : nos voitures restent immobilisées 95% du temps, contre 65% environ pour une voiture partagée. Selon ShareNow, l’une de leur voiture remplaçait 6 voitures particulières. Cambio porte même ce chiffre à 15 voitures particulières.

Malgré le fait qu’en Europe, la voiture reste un reflet de son statut social et que les Européens aiment leur confort à bord de leur voiture personnelle, il y a donc de quoi réfléchir, surtout avec la réduction des places de stationnement dans les villes mais aussi la taxation de plus en plus variable des instances politiques. Il y a aussi de quoi agir et, nous pensons que dans la mesure du possible, au-delà du carsharing et du carpooling, le flexi-travail et le home-working peuvent aider à améliorer la mobilité. Et qui dit bonne mobilité dit bien-être des travailleurs mais aussi des entreprises.

Interviews

Frédéric Van Malleghem, CEO Cambio Bruxelles

« Nous avons quasiment quadruplé nos activités entre 2010 et 2019. Aujourd’hui, nous comptons 41.000 clients. Nous avions commencé avec 382 voitures et aujourd’hui, nous en mettons 1.413 à disposition sur presque 600 stations en Belgique. Nous avons des véhicules adaptés à chaque type de déplacement. Pour les entreprises, diminuer la flotte peut permettre de réduire les coûts et surtout de libérer des emplacements de parking. On ne parle plus de possession automobile, on tente de désacraliser la voiture car nous promouvons l’intermodalité en combinant l’offre Cambio avec les transports en commun (Modalizy, carte Mobib, NDLR). »

Laetitia Gutierrez, CMO Poppy

« Suite au retrait de DriveNow à Bruxelles, cette année, nous avons décidé de tripler notre flotte. Notre offre est composée de voitures vertes au CNG (gaz naturel comprimé, NDLR) et électriques. Mais la voiture n’est qu’une partie de la solution. Nous prônons la multimodalité. Voilà pourquoi, en juillet dernier, nous avons lancé des scooters et des trottinettes électriques. Sur nos 59.000 membres, plus de 20.000/mois sont actifs, surtout à Anvers car nous avons un partenariat avec la commune. Aujourd’hui, après 2 ans d’activité, Poppy n’est pas rentable mais sous l’impulsion de notre nouveau CEO, Sylvain Niset, l’objectif est d’être complètement rentable en 2021. Ce qui est un gros challenge étant donné que le coût de fonctionnement de nos véhicules verts est plus élevé car l’autonomie reste limitée. À Bruxelles, la recharge des véhicules électriques est vraiment complexe dû au petit réseau de recharge. Par ailleurs, nous développons actuellement une offre spécifique à destination des entreprises, surtout des PME jusqu’à 20 employés. »

Sandrine Vokaer, Coordinatrice chez Taxistop

« Le covoiturage est difficile à quantifier car dans les études, on pose la question du mode de transport principal. Or, de nombreux covoitureurs le pratiquent moins de 3 fois par semaine et par conséquent, ils ne rentrent pas dans les statistiques. De plus, le covoiturage entre conjoints n’est pas considéré comme du covoiturage. Pourtant, dans notre travail sur le terrain et avec les entreprises, on voit que la pratique progresse avec un nombre de covoitureurs légèrement supérieur en Wallonie (3,1%) par rapport à la Flandre (2,5%). Taxistop accompagne les entreprises dans la mise en place d’une véritable politique de covoiturage avec des campagnes de communication, des outils adaptés, des incitants tels que le parking réservé, des explications concernant l’avantage fiscal, etc. Nous sommes donc vraiment là pour les aider dans leurs démarches et ne pas les laisser seuls, en plus d’éventuellement les mettre en contact avec d’autres entreprises pour échanger leurs expériences et former un vrai réseau, une communauté dont le covoiturage a besoin. »

Porte-parole pour BlaBlaCar (géré depuis la France)*

« Nous avons 250.000 membres en Belgique (1 million dans le Benelux, NDLR). Notre main business chez BlaBlaCar, ce sont les trajets ponctuels de longue distance. Le parcours moyen est de 300 km, avec un taux d’utilisation par membre de 4 fois par an. Dans ce créneau, l’axe Bruxelles-Paris est très important. En partant de Paris, Bruxelles est la 2e destination la plus prisée. Nous ne cessons d’investir pour proposer un maximum d’offres aux clients – en rachetant Ouibus, nous avons lancé BlaBlaBus en 2019 – en s’assurant que chaque covoitureur puisse se trouver aisément sur notre plateforme. Voilà pourquoi nous travaillons actuellement, sur la France dans un premier temps, pour développer du covoiturage sur les distances plus courtes. Mais cela nécessite une communauté beaucoup plus grande… Il est également important que l’employeur et les politiques poussent au covoiturage pour que ça fonctionne de manière optimale. »

*Un représentant de BlaBlaCar a eu la gentillesse de répondre à nos questions en l’absence du porte-parole officiel, voilà pourquoi il a tenu à rester anonyme.

Maxime Pasture

Maxime Pasture, rédacteur de cet article

Journaliste de formation, Maxime est très curieux mais surtout passionné d'automobile. Sa curiosité l'amène à traiter de sujets divers et variés liés à la mobilité au sens large et bien plus encore !
Cet article parle de : Actus

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