Il est 16h ce 1er janvier 2023. Les bagages sont dans le coffre de notre voiture électrique d’essai – une BYD Tang -, la batterie est entièrement rechargée et annonce 400 km d’autonomie. C’est exactement la distance qui nous sépare du royaume de la plus célèbre souris au monde. Nous ne sommes toutefois pas naïfs : il nous sera impossible de rejoindre notre destination sans faire au moins un petit arrêt pour recharger.
Après les quelques 140 premiers kilomètres, je suis agréablement surpris de constater que j’ai parcouru davantage de kilomètres que ce que mon autonomie a diminué.
Habitués de ce trajet, je sais qu’il y a des bornes rapides Ionity sur le parking autoroutier du Roeulx, juste avant la frontière française. Le lieu serait idéal pour un petit coup de boost, mais la météo est exécrable en ce premier jour de l’an. Il fait moins de 10 degrés, il pleut et vente. Il me reste encore plus de 250 km d’autonomie à ce stade et je n’ai absolument pas envie de m’arrêter par cette météo, d’autant que les bornes de ce parking ne sont pas couvertes. De plus, il n’est pas encore 18h, il est donc encore un peu tôt pour un arrêt repas. On décide donc de poursuivre notre route et de reporter notre arrêt à plus tard.
Entre-temps, la météo se dégrade. La température chute à 5°, des trombes d’eau s’abattent la chaussée, la rendant très glissante. Résultat : nous sommes contraints d’utiliser constamment la climatisation pour réchauffer l’habitacle et le système de désembuage pour assurer la visibilité du pare-brise.
Une heure et 60 km plus tard – il nous reste alors un peu plus de 100 km d’autonomie -, nous décidons enfin de nous arrêter pour recharger la voiture et manger un bout. Le système de navigation annonce alors une zone de Superchargers Tesla à proximité. Une borne est justement libre, mais il faut d’abord télécharger l’application Tesla, s’inscrire et y introduire ses coordonnées bancaires avant de pouvoir lancer une recharge. Et pendant que je m’y attèle, un autre automobiliste vient se garer à ma droite et se branche…sur la seule borne encore libre.
Des bornes bien cachées !
Qu’à cela ne tienne, d’autres bornes sont disponibles à proximité. Nous décidons donc de nous rendre à la suivante, située à une cinquantaine de kilomètres de là, dans le village de Combles. Pour trouver la borne, il faut bien chercher. N’espérez pas qu’elle se trouve sur la place du village ou sur le parking d’un commerce… la station de charge se trouve dans une petite rue à sens unique où il n’y a… absolument rien ! Comme dans le reste du village d’ailleurs. Une fois la borne dénichée, nous nous aventurons à pied dans le village et sommes accostés par un riverain un peu étonné de voir deux belges débarquer dans son patelin. Nous lui demandons s’il y a un restaurant dans les environs, mais il nous répond en riant que Combles est un petit village ou il n’y a absolument rien à faire.
Nous décidons donc d’attendre dans la voiture et découvrons alors avec stupeur que la borne, pourtant raccordée avec notre câble de Type 2 qui devrait fournir 22 kW n’en fournit en fait que… 2 ! Les 10 minutes de charge ont à peine suffit à récupérer 1 km d’autonomie…
Pensant cette borne défectueuse, nous décidons donc de stopper la charge et de nous rendre à la suivante, située à moins de 10 km de là, dans le village de Flers. La borne se situe Place des Britanniques, ce qui nous laisse penser qu’il y aura un peu plus de vie dans ce village. Mais là aussi, c’est la désillusion : il n’y a absolument rien à faire dans les environs. La borne se trouve effectivement sur une place où la seule attraction est un monument… Nous branchons tout de même la voiture et entamons une marche – sous la pluie –, estimant qu’après une dizaine de minutes, nous aurons récupérer suffisamment d’autonomie pour nous rendre à la prochaine station rapide. Après 10 minutes de marche, nous retournons à la voiture et… même constat : la borne ne fournit pas davantage que 2 kW, alors qu’elle en annonce 22 !
Un défi à relever
Un peu désemparés, nous reprenons la route vers une autre borne, annoncée sur le parking d’un hypermarché à Péronne. La distance est de 20 km, la voiture annonce une autonomie restante de 24 km. Le défi est de taille… Afin de réduire au maximum la consommation d’énergie, j’adopte une conduite très souple et très douce, appuyant à peine sur l’accélérateur et circulant à une vitesse maximale de 40 km/h. Après 20 minutes d’intense concentration – et de transpiration -, nous arrivons enfin à Péronne peu après 20 heures. Je pénètre sur le parking de la grande surface qui est plongé dans le noir total. Pour distinguer la borne, je suis contraint de tourner en rond et d’enclencher les feux de route. Et finalement, elle apparait dans un coin du parking. Bonne nouvelle, il s’agit d’une borne gratuite ! Mais revers de la médaille : la grande surface est fermée et il n’y a, une nouvelle fois, rien aux abords. Le centre-ville se trouve à plus d’1,5 km à pied. Puisque nous avons faim, nous décidons de nous y rendre coûte que coûte et malgré la météo.
Si les restaurants belges font souvent salle comble un soir de 1er janvier, il en est autrement en France et tous les établissements de la ville de Péronne sont fermés à l’exception d’une Pizzeria à emporter où une table et 2 chaises permettent tout de même de consommer exceptionnellement sur place. Le lieu idéal pour un repas de 1er janvier…hum !
Encore un petit effort…
22H30, nous revenons à pied à la voiture. La borne délivre ici effectivement 22 kW, mais les trajets effectués pour atteindre les précédentes bornes ont réduit à néant notre autonomie. Après 2 heures, nous avons récupéré quelques 50 km d’autonomie. La prochaine station rapide se trouve à 68 km. Nous décidons donc d’attendre encore 30 minutes dans la voiture avant de reprendre la route. Une fois ce délai passé, le compteur annonce 59 km d’autonomie. Il fait si froid que nous décidons de reprendre la route et de tenter le défi de faire 10 km de plus qu’annoncé par la voiture. Mais c’était évidemment être trop optimiste, d’autant qu’il s’agissait d’un trajet quasi exclusivement autoroutier.
Après 40 km, je décide donc de faire une courte étape à Roye, où une borne 50 KW est annoncée. En 10 minutes, je récupère suffisamment d’autonomie pour terminer mon trajet jusqu’à la prochaine borne rapide sur autoroute.
Le bout du tunnel… ou pas
Il est près de minuit quand nous arrivons sur l’aire d’autoroute de Ressons-Ouest, à seulement 1 heure de notre destination finale, Marne-la-Vallée. Là, 8 bornes (16 points de charge) de 300 kW sont à notre disposition. Enfin, on entrevoit le bout du tunnel. En 30 minutes, on devrait avoir rechargé suffisamment pour arriver à notre destination finale.
Quoique… Après avoir badgé sur la première borne, celle-ci indique qu’il est impossible de lancer la charge. Nous tentons donc notre chance avec la seconde prise. Idem. La troisième nous donne le même résultat… La quatrième ne fait pas mieux. Nous décidons de nous rendre dans le shop de la station pour demander de l’aide. « La borne à l’entrée ne fonctionne pas », nous avoue la jeune femme à la caisse. « Mais du côté où vous vous trouvez, il y a souvent des voitures garées, donc j’en déduis que les bornes fonctionnent parfaitement ».
Nous retournons donc sur le parking et tentons notre chance sur 2 autres bornes… pour un résultat toujours identique. Nous prenons donc l’initiative d’appeler le numéro d’assistance indiqué sur les bornes. Après quelques minutes d’attente, nous sommes mis en relation avec un correspondant qui nous assure d’abord que les bornes fonctionnent. Il nous assiste à distance dans une nouvelle tentative. Et toujours ce même message d’erreur. Il décide donc de réinitialiser les bornes à distance et nous demande d’attendre. Pendant ce temps, un autre véhicule vient tenter sa chance, mais n’obtient pas de meilleur résultat.
Au bout de longues minutes d’attente, le préposé téléphonique nous indique que « toutes les bornes sont dérangées et qu’il va falloir que nous nous rendions à une autre station ».
Problème : avec les détours effectués pour arriver jusque-là, notre voiture ne dispose plus que de 4 km d’autonomie. Les bornes rapides les plus proches se trouvant à 60 km de là, sur l’aire de Vémars, à côté de l’aéroport Charles de Gaule.
A bien y réfléchir, on aurait dû se douter qu’il y avait un souci quand on a remarqué que le panneau qui indique les tarifs de recharge annonçait le même tarif pour toutes les puissances (0,55€/kW).
La solution de la dernière chance
Il ne nous reste alors plus qu’une solution : appeler un service de dépannage. Je vous évite ici les complications liées au fait qu’il est 2h du matin, que la voiture est un véhicule de prêt, que nous sommes en France et que nous sommes sur une portion d’autoroute payante… Finalement, 45 minutes plus tard arrive un camion plateau qui ne s’étonne absolument pas de notre situation. « C’est toujours la même chose : ces bornes tombent tout le temps en panne et je suis toujours appelé pour rien », déplore-t-il. « Car je suppose que l’assistance ne vous a pas signalé qu’il y avait d’autres bornes rapides de l’autre côté de l’autoroute ? »
Eh bien non, notre correspondant s’était bien gardé de nous le dire… certainement parce que ces autres bornes appartiennent à un autre fournisseur.
Bref, notre dépanneur nous y emmène en nous escortant dans des voies à contre-sens étant donné le peu d’autonomie dont dispose encore notre voiture. Pour les atteindre par les voies traditionnelles, il aurait fallu reprendre l’autoroute vers Paris, sortir à la sortie suivante et revenir sur nos pas, ce qui aurait engendré un trajet de 44 km, soit 10 fois plus que ce notre voiture était encore capable de parcourir.
Arrivés de l’autre côté de l’autoroute, nous trouvons effectivement 6 bornes , mais seules 2 sont en état de fonctionnement. Heureusement, l’une des deux est une borne 190 kW qui fournit effectivement cette puissance.
12h de trajet au lieu de 4h
Après 40 minutes de charge, nous sommes enfin en mesure de reprendre la route pour notre destination finale, Disneyland Paris, où nous sommes finalement arrivés à 4 heures du matin, après un périple de 12 heures qui aurait logiquement dû durer seulement 4 heures !
Mais ce n’était pas la fin de nos surprises… Notre hôtel, situé en dehors des parcs à thème ne disposait pas de borne de recharge. Nous n’avons donc pas pu y mettre charger notre véhicule à notre arrivée. Heureusement, nous avions encore suffisamment d’autonomie pour nous rendre au parc Disneyland le lendemain.
4 bornes pour 11.000 places de parking
Disneyland Paris, première destination touristique de France avec une capacité maximale de 28.000 visiteurs quotidiens. Un parking de plus de 12.000 places recouvert de 82.000 panneaux solaires, soit la plus grande installation photovoltaïque d’Île-de-France. Et pourtant… seulement 2 bornes de recharge (4 points de charge) d’une puissance max de 7 kW !
Vous l’aurez compris : il faut énormément de chance pour que ces bornes soient disponibles… et la chance est un peu ce qui nous manquait durant ce voyage… Nous garons la voiture et allons profiter de notre journée, reportant ainsi ce problème à plus tard.
Sauf que le lendemain, nous n’avons eu d’autre choix que de chercher une solution. En pleine journée, nous décidons donc de quitter Disneyland Paris pour nous rendre à une station de charge. Et là encore, ce fut le début d’une… expérience.
Publiques, mais pas tout à fait…
Nous nous rendons d’abord sur l’aire d’autoroute de Ferrières, où des bornes 175 kW sont annoncées. Mais toutes sont en fait hors d’usage dans les deux sens de circulation… Direction ensuite une zone de Superchargers Tesla à proximité, proposée par le système de navigation de notre véhicule. Mais il s’est avéré que ces Superchargers n’étaient pas accessibles aux véhicules non-Tesla… Nous nous rendons donc à une autre borne à proximité, sur le site d’un garage d’une marque concurrente. Là, une borne 350 kW est annoncée, mais le propriétaire a gentiment décidé d’en interdire l’accès aux utilisateurs externes. Un panneau ‘Cette borne est uniquement destinée au personnel’ est collé sur le dispositif permettant de badger. A travers les vitres de la concession, on aperçoit le personnel curieux qui nous regarde comme des animaux dans un zoo et n’hésite pas à nous montrer du doigt… Deux autres bornes (150 kW) sont toutefois disponibles. Nous nous rabattons donc sur l’une d’elles, mais après seulement 5 minutes de charge, un « clic » se fait entendre dans la voiture. Je sors pour découvrir qu’un message est apparu annonçant que « cette borne a été désactivée à distance ». La borne voisine est également passée en rouge… Nous n’étions donc visiblement pas les bienvenus sur ces bornes, pourtant payantes !
Direction un autre espace de chargement Superchargers où les bornes sont bien accessibles aux véhicules non-Tesla. Mais il s’est avéré que notre véhicule n’était, lui, pas compatible !
Désespérés, nous nous sommes donc rendus sur le parking d’un hôtel du complexe Disneyland dans lequel nous n’étions pas client et avons demandé à pouvoir entrer pour recharger notre véhicule. Et là enfin, la chance nous a souri puisque le garde à l’entrée a parfaitement compris notre situation et nous a laissé entrer. Nous avons pu y charger notre véhicule pendant 5 heures pour récupérer de quoi rentrer à l’hôtel le soir-même. Et ce soir-là, nous avons garé la voiture sur le parking d’un concessionnaire automobile situé à 1,3 km de notre hôtel et avons rejoint celui-ci à pied à 23h, histoire d’avoir suffisamment de charge pour le trajet retour.
Retour comme sur des roulettes !
Trajet qui aura été, il faut le dire, plus simple que l’aller. Nous avons démarré à 9h30 et pris un café 1 heure plus tard sur l’air de Ressons ou nous avions déjà pu charger à l’aller. Notons cependant que les 4 bornes déjà en panne le dimanche soir l’étaient toujours 3 jours plus tard… Un second arrêt de 30 minutes pour recharger et manger au Roeulx nous aura finalement permis de rentrer à la maison avec plus de 250 km d’autonomie restante.
Moralité…
Contrairement aux messages des élus français, le territoire du nord de la France n’est pas encore suffisamment desservi en matière d’infrastructure de recharge. Beaucoup de bornes se situent sur des espaces éloignés de tout, dans des petits villages où elles n’ont donc finalement d’intérêt que pour les habitants locaux. D’autant que ces bornes ne fournissent pas du tout la puissance qu’elles annoncent sur les applications de recharge. Certaines ne fournissent pas davantage de puissance qu’une simple prise domestique.
Bien qu’annoncées sur la applications, d’autres bornes ne sont pas en état de marche ou sont défectueuses. D’autres encore, également annoncées sur les applications comme ‘publiques’, sont en réalité limitées à l’usage des clients ou du personnel d’un commerce.
Des lieux de grand passage, comme le plus grand parc d’attraction d’Europe, n’ont pas encore compris non plus la nécessité d’investir dans une infrastructure digne de ce nom…
Si vous devez vous rendre en région parisienne en voiture électrique, privilégiez donc les recharges sur des réseaux internationaux comme Ionity ou Fastned, ce dernier étant encore très peu représenté sur le territoire français. Et surtout : prévoyez votre trajet à l’avance. Vérifier bien la distance entre les bornes et prévoyez suffisamment d’autonomie avant chaque arrêt pour éventuellement pouvoir vous rendre à la station suivante sur votre plan car vous ne serez jamais à l’abri d’une mauvaise surprise…